Ma fin de grossesse est très particulière, entre douleurs lombaires, grippe interminable, conflits familiaux et de multiples décès...
Je perds brutalement 1 mois avant la naissance notre chatte de famille. Je suis très présente comme une doula de deuil, auprès d'une copine dans la fin de vie de son papa. Mon corps est épuisé de ces 9 mois avec une aînée en bas âge et en instruction en famille.
Le temps est long, je suis impatiente que cette grossesse prenne fin, d'enfin rencontrer ce bébé. J'ai du mal à trouver des occupations, j'essaye de faire des choses qui me font du bien. Je ne ressens aucune contraction de "pré travail".
Depuis le 20 septembre, mon bébé n'est plus prématuré et peut arriver quand elle veut. Je récupère la piscine d'enfantement le 5 octobre, le temps qu'elle soit disponible.
Mardi 10 octobre
La veille, je glisse sur un marron et me fait super mal au bassin.
Pendant la sieste de notre aînée, Tom prépare des gnocchis maison puis nous prenons un temps à deux. Un moment de tendresse pour faire le plein d'ocytocine. .
Puis je passe l'après-midi à construire un outil pédagogique sur la langue des signes, pour l'instruction en famille. Je sens que mon col travaille, j'ai toujours très mal au bassin, j'ai du mal à me déplacer.
Je fais du ballon, tout en continuant sur mon téléphone à créer mon outil, je me mets dans ma bulle. J'ai absolument plus mal au bassin, j'arrive à me mouvoir facilement.
20h45 Je commence à sentir que ce sont vraiment des contractions et qu'elles sont rapprochées, je sens sa tête faire des mouvements de rotation. Je le partage à ma copine de grossesse, un peu à ma doula mais en me disant que ça va s'arrêter que c'est léger.
Je mange vite fait sans grande envie.
Ça commence à s'intensifier et à être désagréable alors je m'isole dans la pièce que nous avions dédiée à l'enfantement. Tom s'occupe de Gaïa, elle prend le bain et se brosse les dents (bizarrement elle avait envie de faire tout ça ce soir là).
Je range et j'installe mon nid tranquillement, tout en textotant. Je ferme les volets, je déplie et place la piscine. Ma chatte reste avec moi.
21h16 "j'ai plus envie enfaite"
Je mets de la musique dans mes écouteurs, j'avais préparé une playlist, il y avait la musique du film lalaland mais les pubs youtube m'énerve, cette fois, nous avions pas préalablement télécharger les morceaux…
Tom fait des aller et retour entre moi et Gaïa, je le sens un peu submergé. On ne sait pas quand prévenir les doulas, elles avaient 1h de route.
21h45 Je range la pièce, j'installe 2-3 trucs. Je choisis une pierre fine, que je regarderai dans ma main, toute la durée de l'enfantement. J'allume une bougie sur mon autel, je réalise que ce sera ce soir/cette nuit. Est ce que ce sera le 10 ou le 11 ? Je n'ai pas envie du 11, je voulais le 10 ou le 14, ça ferait une suite 10,11, 12, 13 avec nos 4 anniversaires.
Je fais que réfléchir pourquoi maintenant, je comprends pas. Valentine doit arriver, pour être avec Gaïa, le 12 dans l'après midi; elle n'est pas encore là. Je cogite, je remue dans tous les sens. Puis là, un souvenir me traverse l'esprit mais oui demain c'est les obsèques du papa de ma copine. La vie et la mort sont tellement liées. Ça y ait je comprends… Dans ce choix de grossesse et enfantement automne, j'y étais plus que conforté, j'avais décidé de faire confiance en la vie. Tout est finalement juste comme ça, je lâche petit à petit prise. Ok je vais enfanter pour la seconde fois, laisser ce bébé me traverser.
21h57 Gaïa me fait un gros câlin, elle me dit qu'elle m'aime, je suis émue. Je sens qu'elle comprend, je lui souhaite bonne nuit. Tom monte l'accompagner dans le sommeil. Je fais un dernier selfie de mon ventre rond.
Je n'ai plus trop notion du temps, je prends chaque vague 🌊 je les laisse passer, je profite des pauses. J'échange toujours avec les doulas et ma copine de grossesse par SMS. J'essaye d'évaluer où j'en suis dans mon travail, je sens la tête très engagée. Je vois du sang sur mes doigts. Je suis un peu paniquée, A. me dit que c'est le col qui travaille.
22h18 Soudainement me prends l'envie d'avoir un miroir, pour mieux observer mon col. Je monte sans faire de bruit, je récupère un miroir super lourd tout en me disant mais qu'est ce que je fous là c'est assez absurde comme idée.
Je fais les 100 pas, je bouge, je respire. Je fais plusieurs aller retour aux toilettes (comme pour Gaïa, mon corps ne s'occupe plus de la digestion et élimine tout). Je masse mon ventre. Je ne ressens pas l'envie d'une douche contrairement à la naissance de Gaïa. Je veux rester dans cette pièce, je suis bien.
22h43 Je reçois "bel enfantement" de V.
Je sens que les contractions deviennent vraiment intenses. J'ai besoin de Tom. Il me dit qu'elle dort.
22h48 Il me rejoint. Je lâche mon téléphone, dis aux doulas que Tom prend le relais pour leur donner des nouvelles.
23h01 Tom gonfle la piscine, tout en m'appuyant dans le dos sur les points d'acupression ou en me soutenant le ventre. Entre les contractions, je lui parle normalement, je suis apaisé et lucide. Les pauses font du bien.
Je commence à trouver qu'il faut prévenir les doulas.
La piscine se remplit, j'hésite à y aller par peur de ralentir le travail, j'étais toujours dans cette croyance que c'était pour dans longtemps. Tom avait bien compris que c'était pour bientôt surtout avec mes aller retour aux toilettes.
23h36 Mes doulas sont en route.
23h49 Je rentre dans l'eau, ça commence à s'intensifier. Tom me masse à chaque contractions.
Soudainement, durant une contraction je sens une sensation particulière, comme un poc. Je mets la main vers ma vulve et je sens le liquide amniotique sortir à chaque contraction. Je trouve l'eau un peu froide. J'ai besoin qu'on me verse de l'eau chaude au-dessus du dos. J'ai vraiment plus mal, la poche des eaux n'est plus là pour faire coussin amortisseur. Il invente un système pour me soulager, avec une jarre qu'il remplit d'eau bouillante pendant les pauses même si elles sont de plus en plus courtes.
Anne Sophie arrive, Tom avait laissé la porte ouverte pour qu'il n'ait pas à descendre, lui ouvrir. Je lui dis coucou, elle parle de la route qui a été barrée et me dit que ça fait bien mal quand la poche des eaux s'est rompue durant le travail, me voilà rassurée. Elle vérifie la température de l'eau, elle fait un tour logistique, je sens qu'elle porte l'espace, elle est là et devient complice de Tom. Elle est dans notre bulle avec nous. Elle me demande si on peut allumer plus les lumières pour les photos.
00h45 Jessica arrive à son tour, j'ai plus de mal à la saluer, j'ai vraiment très mal. Ça devient difficilement supportable.
Elles commencent à nous prendre en photo, petit à petit j'oublie complètement le bruit de l'appareil.
Anne Sophie me demande si je la sens descendre dans mon bassin… Oui la tête est beaucoup plus engagée, je la touche. Avoir personne qui me contrôle, vérifie, m'oscule me fait me sentir pleinement actrice durant cet enfantement.
J'ai vraiment trop mal. Je ne sais pas dans quelle position me mettre, je bouge dans tous les sens, allongée, 4 pattes.
Je hurle "descend", "sors". J'en peux plus, je pousse, je ressens moins la poussée réflexe que pour Gaïa mais une envie que ça se termine. Anne Sophie me parle, me rassure, me dit de la laisser descendre. J'ai mal, je ne me sens pas bien, j'ai envie de vomir. Anne Sophie s'éloigne en disant "pas sur moi s'il te plait" et elle chuchote à Tom "ça m'étonne qu'elle ne l'ai pas fait avant." Ça me semble si long… Et si douloureux.
Je demande à Tom d'aller dans la piscine avec moi.
Je crie de toutes mes forces telle une animale.
Les sons sont si forts que Gaïa se réveille. Tom sort de la piscine et met le peignoir. Anne Sophie lui demande ce qu'il fait, la naissance est imminente. Je pousse 4-5 fois allongée. Elle sort en 3 temps, d'abord sa tête, ses épaules puis le reste de son corps. Je ne me rends pas compte mais ce moment est assez long.
1h13 Tom l'attrape, la sort de l'eau et me l'a donne. Je regarde le cordon, si c'est une fille, elle s'appelle Zoïa. Anne Sophie met une serviette par dessus pour l'entourer.
Tom cherche Gaïa qui pleure, iels nous rejoignent, elle rencontre sa petite sœur. Elle observe la scène avec de grands yeux. Je suis heureuse qu'elle soit là, et uniquement maintenant. Les 2h où elle a dormi étaient parfaites.
Il a beaucoup de sang qui se propage dans la piscine, A. me suggère de sortir, me demande si je me sens bien, si j'ai froid, si j'ai la tête qui tourne. Elle est très ancré, ne panique pas, elle fait tout pour conserver notre bulle. Je comprendrais plus tard que je suis en train de faire une hémorragie. Elles préparent le lit, on s'y installent à 4, Tom s'occupe de Gaïa, Zoïa commence à téter, je suis sous une couverture au chaud. Elles me donnent toutes les 10 min de la teinture mère de bourse à pasteur, pour stopper les saignements. A. observe sans insistance. J'ai encore des contractions, ça me fait mal. J'ai envie que le placenta sorte…
02h Il sort mais il est encore accroché à l'intérieur par un bout. Elle m'explique en me disant que si le bout reste dedans, il va falloir que je fasse un choix… Je lui dit je suis confiante que ce placenta va sortir entier.
Il sort, il est gorgé de sang, il est bien gros et lourd. On le pose dans une bassine, toujours relié à Zoïa. Je n'ai pas envie de faire de bébé lotus, comme pour Gaïa. J'ai plus envie de le voir, je sens qu'il est chargé. Elle y voit beaucoup de cailloux et de nodules. Je préfère le faire encapsuler et manger des morceaux crus.
Gaïa observe tout, elle touche le placenta, elle parle aux doulas, raconte pleins de choses comme le décès de notre chatte. Le temps est comme suspendu et doux.. Tout est un peu flou, je me souviens mal. Iels vident la piscine, ça fait un bruit avec la pompe. Il reste des bouts de membranes au fond.
J'essaye d'aller aux toilettes vider ma vessie, on m'aide à marcher, je me vois dans le miroir, je suis pâle. Jessica me demande si je me sens bien, je la sens inquiète. Elle me prépare de l'eau avec du miel, puis me demande si je veux manger quelque chose, je déguste un müsli. Pendant ce temps, Tom a Zoïa sur lui, elle essaye de le téter, ça lui fait des chatouilles, il rigole. Gaïa pose pleins de questions.
Je retourne aux toilettes cette fois, j'y arrive mieux. J'ai pas envie de prendre une douche, la salle de bain ne m'attire pas, Anne Sophie me lave avec un gant, observe si j'ai une déchirure, j'ai une hémorroïde.
Tom va ensuite fumer. Lorsque je me remémore le post partum immédiat, je visualise Anne Sophie dans le hamac en face de moi et J. dans le fauteuil a bascule, sirotant leur café à 3h du matin. Et Gaïa courir tous les sens. Je n'arrive pas à croire que ça y ait, ça vient d'arriver. Elles sont contentes car la naissance a été rapide, elles sont restées longtemps après du coup, même si un peu dégoutées que ce soit en plein milieu de la nuit. Oupsi.
3h30 On coupe ensuite le cordon ombilical pour qu'A parte avec le placenta, Gaïa observe pendant que Tom tiens la paire de ciseaux. On met une couche à Zoïa, elle restera 3 jours sans vêtements en peau à peau contre moi.
3h45 Elles partent toutes les deux. Tom et Gaïa vont se coucher dans la chambre. Je me retrouve seule face à ce nouveau né, dont j'ai tout à découvrir. Mais aussi avec ce corps meurtri, jamais mon corps n'est mis à rude épreuve ainsi, c'est d'une intensité incroyable. Je retrouve la sensation du post partum immédiat, que j'espère ne plus jamais vivre: les tranchées sont très douloureuses (+ de douleurs pour un deuxième, j'ai ma bouillotte pour atténuer, j'ai hâte que Tom achète demain de l'homéopathie arnica), mon bassin est complètement écarté, je souffre du sacrum, le sang coule à flot, mon ventre est tout vide, mou et flasque. Tisser avec le post natale est un autre chapitre qui pour certain-e-s dure un mois, d'autres 6 semaines, un trimestre, ou 9 mois, 2 ans ou encore toute une vie… La nuit est courte, 9h la journée commence. La maison est sans dessus dessous. Gaïa est pleine d'énergie. J'ai l'impression qu'elle est née hier mais nous sommes bien le 11. J'ai hâte d'annoncer à nos proches ce qui s'est déroulé durant la nuit et d'entendre leur réaction…